LE MONDE / HORS-SÉRIE / INDE LE RÉVEIL
Avant les élections du printemps 2014 qui décideront de l’avenir du parti du Congrès (dynastie Nehru-Gandhi) au pouvoir depuis dix ans en Inde, retrouvez dans ce hors-série du Monde les enjeux de cette échéance.
Trois parties pour cette plongée dans l’Inde contemporaine
• Comment l’Inde a émergé dans la cour des grands et notamment, face à la Chine, son grand rival en Asie ? Quelles sont les facettes de ce développement hors-norme ?
• Puis retour sur l’euphorie des années 2000, avec l’analyse des faiblesses et des forces du pays, et en particulier les niches d’excellence de son économie.
• Enfin dans une dernière partie, Le Monde décrypte la réalité politique de l’Inde, caractérisée par une incroyable diversité (religions, castes, ethnies, langues...) qui soumet tout projet national à une tension permanente.
Dans un grand entretien, l’historien indien Ramachandra Guha, répond aux questions sur la singularité de l’Inde, six décennies après sa naissance.
Reportages, analyses, photographies et infographies permettent de prendre toute la mesure de ce géant d’Asie.
Le réveil
Il est difficile de parler de l’Inde aujourd’hui comme on en parlait il y a une décennie, âge d’or d’une Shining India (Inde brillante) riche de promesses. C’était une époque euphorique où l’Inde était vendue comme une Chine bis, un nouvel eldorado économique avec la démocratie en prime. Or les esprits béats ou pressés ont dû déchanter. En dix ans, le taux de croissance a été divisé par deux, un essoufflement qui révèle au grand jour les faiblesses systémiques de son économie qu’avait camouflées, un temps, l’afflux d’argent facile. Bureaucratie, corruption et inégalités se sont conjuguées pour freiner l’élan.
Faut-il pour autant basculer de l’angélisme au catastrophisme ? Un tel changement d’appréciation aussi radical serait une erreur. L’Inde va continuer de progresser à son propre rythme, qui n’est pas forcément celui des investisseurs impatients, et son poids sur les affaires du monde, s’il n’est pas dominant, n’a pas fini de se faire sentir. L’émergence de l’Inde, même à une vitesse moindre, n’est pas terminée. Le réveil de l’Inde est aujourd’hui une réalité.
D’une certaine manière, ce pays-continent renoue avec une puissance et une grandeur qui fut la sienne dans le passé. « L’Inde n’a pas d’histoire », affirmait l’historien écossais, James Mill, dans son ouvrage Histoire de l’Inde britannique, publié en 1817. Il validait ainsi le cliché d’une Inde éternelle, immuable, voire éthérée, avec, en filigrane, l’unique dessein de légitimer l’entreprise coloniale britannique. Ce cliché d’une Inde coupée du monde et sans relief est absurde. De la plus haute Antiquité à la partition de 1947 – qui lui a donné sa forme contemporaine –, le pays a connu le règne d’Ashoka, les empires Gupta et Chola, la domination des grands Moghols…
L’essor commercial de l’Inde a démarré il y a plusieurs millénaires, grâce au transport maritime. Le premier port aurait été construit, sur la Côte ouest, vers 2300 avant Jésus-Christ, en pleine civilisation harappéenne. L’Inde s’est vite retrouvée au centre de routes commerciales s’étendant de Rome à Sumatra. Pline l’Ancien a, lui-même, témoigné de cette activité commerciale florissante en décrivant dans ses récits les cargaisons indiennes chargées d’or quittant Rome, après y avoir déchargé parfums, pierres précieuses et épices.
Le réveil de l’Inde puise au tréfonds d’une société en mutation où des forces libérées regardent désormais vers le haut plutôt que vers le bas. Il se nourrit d’un modèle unique à cette échelle, celui de l’intégration d’une diversité (sociale, linguistique, ethnique, religieuse) vertigineuse dans un projet national commun. La démocratie, que les cyniques disqualifient comme source de paralysie, accompagne cette mise en mouvement de pans entiers d’une Inde qui n’avait, jusque-là, guère voix au chapitre. Le monde va devoir compter avec le réveil de l’Inde, s’il ne veut pas rater une partie du siècle à venir.
L’enjeu immédiat pour le pays, ce sont les élections législatives du printemps 2014, qui décideront des grandes orientations. L’Inde va alors plonger dans un exercice de démocratie, qu’elle connaît bien. Cette configuration démocratique n’a pas été transposée ou importée des pays colonisateurs occidentaux.
Dans ses ouvrages, l’économiste indien Amartya Sen insiste sur la tradition de débats publics, organisés dès le Ve siècle avant J.-C. Ces « conciles bouddhistes » mettaient la discussion au service du progrès social en réunissant des délégués issus de différents pays. Deux mille ans plus tard, l’empereur moghol Akbar encouragea les dialogues interreligieux, persuadé que l’exercice de la raison permettait de construire des sociétés plus harmonieuses.
C’est cette diversité et cette richesse de l’Inde contemporaine que nous avons voulu restituer dans ce hors-série.
Alain Abellard, Frédéric Bobin et Julien Bouissou
Date de parution : novembre 2013.